LA LIBERATION DE LA CORSE

Publié le par Lisa Decamps

LA LIBERATION DE LA CORSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'INSURRECTION DES RESISTANTS CORSES : SEPTEMBRE 1943


Suite au débarquement allié en Afrique du Nord française (AFN), la Corse, en même temps que le reste de la zone libre en France, a été envahie par les forces de l'Axe en novembre 1942. Les troupes d'occupation dans l'île sont essentiellement italiennes.


Or le 3 septembre 1943, l'Italie, qui a auparavant renversé son dictateur Mussolini, signe l'armistice avec les Alliés, dont les premières troupes britanniques traversent le détroit de Messine et s'engagent dans la botte italienne. Le 8 septembre 1943, cette nouvelle est rendue publique et les résistants corses sont informés que les 80 000 soldats italiens sont prêts à se joindre à eux, pour combattre les 45 000 soldats allemands alors présents dans l'île.


Le lendemain, tandis que les Américains débarquent à leur tour en Italie près de Salerne, les maquisards corses, aux ordres du commandant Colonna d'Istria, déclenchent l'insurrection. Celle-ci est préparée en collaboration avec les services du général Giraud à Alger, qui ravitaillent les résistants en armes et en munitions depuis plusieurs mois. Le 10 septembre, un message envoyé par les résistants, à Alger, annonce : « Ajaccio s'est soulevé, les insurgés maîtres de la ville. Les Italiens ne résistent pas ; on se bat dans Bastia ».


Giraud décide alors de déclencher l'opération Vésuve : un débarquement de troupes françaises pour libérer l'île.


DES UNITES MAROCAINES ENGAGEES DANS LA LIBERATION DU PREMIER DEPARTEMENT FRANÇAIS


Dès le 11 septembre, un corps de débarquement est constitué en toute hâte, en AFN. Il rassemble environ 6000 hommes, sous les ordres du général Martin.


Il s'agit de détachements de la 4e division marocaine de montagne (4e DMM) du général Sevez, comprenant notamment le 4e régiment de spahis marocains (4e RSM) et le 1er régiment de tirailleurs marocains (1er RTM). Dans la précipitation, ce dernier reçoit des habits américains pour parfaire l'équipement de ses hommes, juste avant l’embarquement pour la Corse ! Participent également à l'opération le 2e groupement de tabors marocains (2e GTM) et deux bataillons de choc, l'un américain, l'autre français.


Le 13 septembre, assistés par des moyens aériens et navals franco-américains, les premiers détachements français débarquent à Ajaccio. Dans la nuit du 16 au 17 arrive le 1er RTM du colonel de Butler, qui a quitté le commandement des goums marocains au Maroc. Le 23 septembre, c'est au tour du 2e GTM du colonel de la Tour de débarquer à Ajaccio.


LA CAMPAGNE DE CORSE : SEPTEMBRE-OCTOBRE 1943


Le déploiement des unités françaises s'étale sur deux semaines, au cours desquelles les premières troupes engagées en terrain difficile libèrent la plus grande partie de l'île avec le concours de plus de 10 000 résistants et d'unités italiennes. Les goumiers marocains admettent d'ailleurs difficilement que les Italiens, qu'ils ont combattus durant la campagne de Tunisie, soient devenus des alliés. Un général italien se plaint ainsi de l'agressivité des goumiers, qu'il surnomme « I capuccini armati », « les moines-soldats » ! Et ce, du fait de leur crâne rasé d’où pend souvent une petite natte de cheveux (la « guettaïa »), de leur djellaba à capuchon (appelée « koub ») et de leurs sandales (les « naïls »).


Fin septembre, l'objectif final de l'offensive française est Bastia. Ville autour de laquelle sont rassemblés 4000 Allemands et d'où ils évacuent, en bon ordre, leurs troupes et leur matériel pour renforcer leurs unités en Italie, via l'île d'Elbe. Pour protéger le port de Bastia, les Allemands occupent les hauteurs qui l'entourent. Reste donc à les en déloger !


« L'attaque des cols » est déclenchée le 30 septembre. Les tirailleurs marocains du 1er  RTM se lancent alors à la conquête du col de San Stefano : 


« Dans la nuit, on attend le moment d'attaquer ; le lieutenant Deholain suggère au lieutenant Si Hamaouche de faire chanter ses hommes pour semer la panique chez les Allemands. Cet officier s'élance à leur tête en criant le « Ratabrou » repris par toute sa section. Ce chant presque religieux jaillissant de l'obscurité était particulièrement impressionnant et, aux dires des prisonniers, les avait terrorisés (...) Gradés et tirailleurs marocains ont mérité, ici aussi, le surnom donné à leurs anciens du régiment par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale : les « hirondelles de la mort » (...) avec de tels hommes on peut aller au bout du monde. » (extrait d’un discours de la cérémonie du souvenir organisée au col de San Stefano, en 1992)


La bataille pour la possession du col de Teghime, qui constitue l’objectif principal de « l'attaque des cols », commence en effet par des actions de débordement, au cours desquelles les cols de San Leonardo et de San Stefano sont pris par les goumiers et les tirailleurs marocains. Parmi le flot de distinctions attribuées au 1er RTM pour cette action, la 1ère compagnie reçoit une citation à l'ordre de l'armée :


« Magnifique unité qui, au cours d'une audacieuse opération de nuit, a enlevé le 30 septembre 1943, la position du col de San Stephano, solidement tenue et organisée. A, par son action digne des plus hauts faits d'armes des Troupes marocaines, ouvert la route à notre progression (...) »


Malgré la fatigue, consécutive à un départ précipité d'Afrique du Nord vers la Corse et deux semaines de lutte en montagne, les soldats marocains, à l'image des gradés qui les commandent, maintiennent constamment la pression sur les Allemands. Les conditions matérielles sont épouvantables, ce qui devient maintenant une habitude pour les tirailleurs et les goumiers. Le ravitaillement ne parvient plus aux premières lignes, car les véhicules de transport manquent et ne peuvent accéder aux cols. L'absence de mulets, dans certaines unités, se fait cruellement sentir. Il faut se contenter des conserves allemandes ramassées au hasard.


Les combats les plus âpres ont lieu au col de Teghime. Le goumier Salah Taddart se   souvient :


« Les combats ont été très durs, nous les goumiers nous avons eu beaucoup de pertes et nos gradés aussi, il y a eu aussi beaucoup de blessés. Quand les avions allemands nous ont attaqués, on se protégeait en se planquant derrière les rochers, en changeant tout le temps de position, jusqu'au coucher du soleil. On envoyait des messages le matin pour réclamer des munitions, on les recevait et le soir elles étaient épuisées. Devant moi une bombe est tombée pile sur le brasero allumé par des goumiers, il y a eu 11 morts dans le poste de commandement ! »


Néanmoins, les Allemands finissent par être définitivement refoulés par les coups de boutoir du 2e GTM. Au soir du 2 octobre, les chars légers du 4e RSM peuvent enfin franchir le col de Teghime, conquis de haute lutte par les goumiers marocains ! Le 4 octobre, des éléments du 2e GTM entrent dans la ville de Bastia, évacuée en toute hâte par les Allemands, qui ont abandonné une grande quantité de matériel lourd, tandis que des commandos du bataillon de choc français hissent le drapeau tricolore sur la mairie.


Le comportement remarquable du 2e GTM est également récompensé par une citation à l'ordre de l'armée :


« Splendide unité marocaine (...) au moral élevé, à l'endurance inégalable, au cran magnifique et à l'allant irrésistible. A donné toute la mesure de sa valeur guerrière en s'emparant de haute lutte du Col de Teghime, le 2 octobre 1943, par une série d'attaques menées avec fougue, qui causèrent à l'ennemi de lourdes pertes en hommes et en matériel. Bien que soumise à des feux violents d'artillerie et d'aviation, a conservé toute son ardeur agressive et est entrée victorieusement dans Bastia le 4 octobre, contribuant pour une large part au succès de la campagne engagée pour la libération de la Corse. »


Le général Giraud, présent à Ajaccio dès le 21 septembre, exprime la fierté qu’il ressent face aux troupes qui viennent de libérer la Corse. Le 6 octobre, le général de Gaulle, admiratif devant « l’ardeur » déployée par ces hommes, arrive à son tour à Ajaccio où il est acclamé par une population en liesse. A Bastia, il reçoit le même accueil enthousiaste de la part des résistants et des habitants, qui chantent sur la place Saint-Nicolas la Marseillaise et le Salve Regina, l'hymne traditionnel des Corses.


L'IMPORTANCE DE LA LIBERATION DE LA CORSE


Le général Eisenhower, reconnaissant, souligne que l'offensive audacieuse lancée par les troupes françaises a retenu en Corse des forces allemandes qui auraient été nécessaires en Italie, pour rejeter à la mer les unités américaines débarquées sur la côte de Salerne.


De plus, les Alliés disposent maintenant du « plus magnifique porte-avions à proximité des côtes de Provence », selon l'expression du général Giraud. En effet, l'île va compter jusqu'à 17 aérodromes pouvant accueillir 2000 avions. La Corse devient la base arrière idéale pour lancer des raids en Italie. En août 1944, elle sera également une précieuse base aérienne et navale lors du débarquement de Provence.


Enfin, sur un plan symbolique, la campagne de Corse offre l'image d'une terre libérée par l'action conjointe de maquisards et de soldats de l'armée française, dont le fer de lance a été constitué par les combattants marocains !


LE BILAN DE LA CAMPAGNE DE CORSE POUR LES TROUPES MAROCAINES

 

 


Egales à elles-mêmes, les troupes marocaines ont démontré, au cours de la campagne de Corse, toute leur valeur au combat, avec un matériel plus moderne qu’en Tunisie mais le même ravitaillement de fortune. Leurs succès n’en sont que plus admirables.


Leurs actions ont donc été déterminantes dans la libération du premier département français, acquise après seulement trois semaines de combats. Elles ont également largement contribué à l'affaiblissement d'une unité d'élite allemande, la 90e panzergrenadierdivision, qui a quitté l'île, en y abandonnant les carcasses d'une centaine de chars, de 600 pièces d'artillerie et de 5000 véhicules.   


Côté français, les pertes les plus importantes sont celles des résistants, qui accusent 170 tués et environ 300 blessés. Mais au sein des troupes régulières le bilan des soldats marocains est élevé : sur un total de 75 tués et 250 blessés dans l'armée française, les pertes marocaines en constituent plus des deux tiers !


Ces soldats marocains morts loin de leur sol natal sur les montagnes et dans les brumes du maquis corse reposent sur cette terre, qu’ils ont contribué à libérer. L’émouvante Nécropole nationale de Saint-Florent, jouxtant une plage où résonnent aujourd’hui les cris de joie des estivants, et le Carré militaire de Bastia sont là pour le rappeler…

 

 

 

 


M. TOURON Christophe (professeur d’Histoire-Géographie).

Publié dans HISTOIRE

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