MAURICE DE CHEVEIGNE

Publié le par Lisa Decamps

Maurice de Cheveigné 
Maurice de Cheveigné en 1941 (© Maurice de Cheveigné, 1992)

L'auteur en 1941

Copyright : Maurice de Cheveigné 1992

 

Maurice de Cheveigné, résistant de la première heure, raconte ici son départ de Paris avant l’arrivée des Allemands, le 13 juin 1940. Avec d’autres ouvriers de l’usine aéronautique Bréguet, il tente de gagner à vélo les ateliers de Toulouse, où on espère pouvoir continuer l’effort de guerre; en route, comme tant d’autres Parisiens, il passe par Étampes.  

Le l3 juin l940, à sept heures du matin, à Aubervilliers, chez Bréguet, au lieu de se mettre au travail, le personnel réuni dans la cour écoute le discours du patron debout sur le perron des bureaux: «Les Allemands arrivent. Évacuation. Rendez-vous à Toulouse. Tous Français. On les aura.»  

     Un immense nuage de fumée couvre le ciel, venant du Nord, salissant tout d'une suie collante, exprimant bien le deuil qui convient à la situation: tous ont les mains noires et des visages de charbonnier.  

     On s’est donné rendez-vous, une dizaine de copains de l’atelier, place de la République à l7 heures. La mère de Jean-Claude Stern, un de mes amis radio-amateurs, mobilisé, m’a prêté la bicyclette de son fils pour remplacer la mienne, accidentée. À l8 heures, par la Porte d’Orléans, nous sortons de Paris, pas mécontents de partir ainsi à l’aventure, au lieu d’être enchaînés à nos voilures.  

     Rouler n’est pas facile. Des réfugiés plein la route, avec, pêle-mêle, des paquets, des valises, des malles, des matelas, des meubles, des chiens, des chats, des volailles, des enfants, des grands-parents, des brouettes, des charrettes à bras, des voitures hippo ou automobiles, ou plutôt immobiles. Pour échapper à cette paralysie, nous quittons la route nationale pour une route départementale en épi.  

     À Sainte-Geneviève-des-Bois, à la tombée de la nuit, on bivouaque. Je n’ai pas de tente. Je me roule dans une couverture, la tête sur mon sac, à la belle étoile. À Étampes, le lendemain matin, léger pillage: une poule qui passe par là, des petits pois dans un jardin, avec des carottes. Des cerises pour le dessert. «Eh, regarde! Il y a du persil et de l’estragon...»  

     Les avions bombardent et mitraillent ailleurs: «Oh, dis donc! Tu entends!» On voit les avions survoler la route, et piquer, là-bas au loin. Ici il fait beau, et rouler en vélo au soleil est bien agréable. Voici Pithiviers. Nous traversons la Loire à Jargeau. Certains disent que c’est sur la Loire que doit avoir lieu le sursaut comme autrefois sur la Marne. Les préparatifs ne sont pas évidents.  

     On campe au sud d’Olivet, le 14 au soir. La poule, avec les carottes et les petits pois, dans une marmite, nous console des muscles douloureux. Réveil tardif au matin. La rencontre d’un régiment d’infanterie anglais nous apprend que les Allemands sont entrés hier dans Paris. L’après-midi nous retrouve sur les vélos. On évite encore la N20.   


   
     Le soir, les jambes épuisées, nous campons à Selles, au bord du Cher. Le lendemain matin, nous reprenons la route. "

  

 

 

 

 

 

 
Maurice de Cheiveigné

Publié dans TÉMOIGNAGES

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